Il est important d’apprendre de ses pairs, c’est pourquoi aujourd’hui je vous propose l’interview de Nathalie Vessillier, autrice BD, illustratrice et bien d’autres choses, qui nous partage la genèse de sa BD « Blanche-Neige » sortit l’année dernière aux éditions Delcourt. Interview que j’espère intéressante pour quiconque voudrait devenir auteur BD !
Bonjour Nathalie, et merci d’accepter de répondre à cette interview 🙂 ! Histoire que tout le monde re-situe un peu qui tu es, est-ce que tu pourrais te présenter toi et ton travail ?
Hello Scendre, merci à toi. 🙂 Alors, je suis Nathalie Vessillier, je suis lyonnaise et exerce l’activité d’illustratrice depuis 2006-2007.
Niveau BD j’aime explorer les fables et contes, j’aime bien la fantasy, la science-fiction. Pour le moment, je suis restée plutôt semi-réaliste, mais j’essaie de me lâcher un peu plus sur le prochain projet
Côté illustration je suis très attirée par le pop-surréalisme depuis que j’ai pu étudier de près ce mouvement. Entre le kawaii et le macabre, je n’aime pas trop choisir, j’aime bien évoluer à la limite du joli et du flippant. Et toujours avec de l’auto-dérision.
Mes inspirations sont Junko Mizuno, Isabella Mazzanti, Yoshitaka Amano, Juanjo Guarnido, Tony Sandoval…
Beaucoup de personnes qui suivent le blog sont encore étudiants. Pourrais-tu nous parler un peu de tes études et pourquoi pas de ton parcours professionnel jusqu’à maintenant ?
J’ai fait des études d’art à Emile Cohl. J’avais eu une éducation artistique hyper-classique, et rencontrer plein d’autres étudiants artistes de tous horizons m’a permis de m’ouvrir à de nouveaux modèles, et de construire les fondations de ce qui est mon imagier visuel. Aujourd’hui, on me dit parfois que mon style BD fait très manga, mais je n’ai lu mon premier qu’à 20 ans ! La découverte des films de Miyazaki au cinéclub de l’école y est sûrement pour quelque chose…

Bref, j’ai obtenu mon diplôme spécialisation multimedia en 2006. Manque de bol en 2007 ce n’était pas la meilleure période sur le marché du travail, et j’ai dû me rabattre sur une autre option, à savoir faire un an de formation professionnelle en développement/webdesign. J’ai ensuite évolué de graphiste/intégratrice web à lead graphist dans le casual gaming sur une période de 4 ans environ avant de basculer en freelance et de commencer à illustrer, principalement à l’international. J’ai aussi fait quelques petits boulots divers en parallèle de mon activité free : médiatrice culturelle pour une expo de pop-surréalisme/nobrow (gros électrochoc artistique d’ailleurs !), vendeuse de céramiques artisanales… Sur le moment, j’avais l’impression de m’éloigner de mon sujet, mais tous ces jobs m’ont beaucoup apporté humainement et artistiquement. C’est à peu près à ce moment que j’ai rencontré Lylian, mon scénariste, sur le forum cafésalé. Nous avons monté plusieurs projets qui n’ont pas abouti, puis il m’a proposé Blanche Neige et on sait où ça nous a mené. Depuis 2014, je suis donc officiellement autrice de BD et j’ai publié mon premier ouvrage, Blanche Neige, chez Delcourt fin 2016. Je considère aujourd’hui que c’est mon activité principale bien que je multiplie mes projets artistiques parallèles afin de gagner ma vie et de ne pas m’ennuyer. J’ai par exemple dernièrement bossé sur du décor d’escape room, de la vidéo 2D… Avant j’ai réalisé une courte BD historique pour un collectif lyonnais (ndlr : Les rue de Lyon). J’ai aussi fait une BD dont vous êtes le héros avec mes anciens collègues d’atelier. Bref, je ne me limite pas trop.

As-tu toujours rêvé de faire de la BD ?
Oui. 🙂 J’ai su vers mes 10 ans que je voulais faire ça dans ma vie, et mes parents m’ont encouragée dans cette voie malgré le coût des études, donc j’ai été très chanceuse. En arrivant à Emile Cohl cependant, j’ai un peu déchanté, car j’étais très nulle dans cette matière. 😀 Du coup je me suis dirigée vers la section multimédia car le jeu vidéo m’intéressait tout autant. Pendant longtemps, je me suis persuadée que la BD n’était pas pour moi, et puis la rencontre avec mon scénariste m’a réconciliée avec l’idée. Et aujourd’hui, je suis ravie d’en faire, je me pose toujours beaucoup de questions sur mon boulot, mais ma légitimité en est de moins en moins une. 🙂
Ton gros projet de l’année 2016 est bien évidemment la sortie de ta première BD « Blanche Neige » aux éditions Delcourt. Déjà toutes mes félicitations, j’imagine que ce n’est jamais facile de sortir une BD, pourrais-tu nous raconter la genèse du projet ? As-tu démarché ton éditeur où on est directement venu te voir ?

Merci ! Au final, le lancement du projet a été bien plus « simple » que ce que je m’étais imaginé !
Quand on se lance dans un projet perso, il faut donner envie à l’éditeur de voir le produit fini, et pour ça, il faut monter un dossier de présentation avec le synopsis et des planches finies. Nous avions monté 2-3 autres projets avant Blanche Neige avec Lylian, qui n’avaient pas abouti à quelque chose de satisfaisant. Pour celui-ci ça a été plus fluide.
Une fois le dossier monté, on l’a envoyé à une petite sélection d’éditeurs avec qui nous avions envie de travailler. Nous n’avons pas attendu beaucoup avant d’avoir les premières réponses très encourageantes. Et une proposition chiffrée qui correspondait à nos attentes. Nous avons donc signé chez Delcourt, et nous avons pris rendez-vous avec notre futur éditeur pour pouvoir parler du projet.
Au début, je m’attendais à devoir refaire énormément de choses, j’avais peur de devoir « trahir » l’esprit de notre projet pour correspondre à une ligne éditoriale. (j’avais entendu beaucoup d’histoires flippantes de mes amis auteurs !) Au final, les corrections ont été assez minimes. D’un A4 nous sommes passés à un format un peu plus large, ce qui m’a obligée à repenser la mise en page mais qui m’a aussi laissé beaucoup de place pour travailler mes ambiances et décors.
Nous avions imaginé le projet sans doute plus orienté « Métamorphoses » (une collection chez Delcourt-Soleil qui s’est spécialisée dans la fabrication de très beaux livres avec une DA très reconnaissable), nous avons donc dû revoir certains détails de manière plus classique. Par exemple, sur mes planches de test, nous avions choisi de faire nos bords de cases arrondis. Ça aurait pu être sympa, mais ce sera pour le prochain album !
Pourquoi Blanche Neige ?
C’est mon cher scénariste Lylian qui m’a amené le projet. Au début, j’étais mitigée. J’adore les contes, mais je me voyais plus faire la Belle au bois dormant, ou alors un conte plus méconnu… En plus au moment où il m’a parlé du projet, il y avait encore la vague de films live inspiré de contes genre Blanche Neige et le chasseur, j’ai pensé « si les gens ne sont pas déjà saoulés par ce conte, on va les achever ! » 😀 Et puis finalement l’idée a fait son chemin, j’ai commencé à produire et c’est venu plutôt simplement. Je me suis laissée séduire par l’écriture du projet et je m’y suis investie.
Pour l’anecdote, j’avais bossé sur une adaptation de Blanche Neige pour mon diplôme de fin d’études. Mais c’était tiré d’une nouvelle de Neil Gaiman et ce n’était pas DU TOUT la même ambiance (dark glauque gore). Je trouve ça amusant de voir le grand écart que j’ai fait en 10 ans.
Créer une BD, ce doit être long, non, combien de temps as-tu mis pour finir cette BD ?
Haha, j’ai toujours un peu honte de le dire, mais en tout, on a mis presque 3 ans, avec de longues périodes de productivité quasi-nulle, mais tout de même ça a été très étendu. Pour être précise, j’ai réalisé le dossier fin 2013, début 2014, on l’a envoyé dans la foulée, on a eu des réponses en moins de deux mois (ce que j’ai trouvé très rapide !), Delcourt nous a fait son offre au printemps, on a signé à la rentrée, mais à cette époque j’occupais un emploi salarié à plein temps que j’ai du quitter au préalable. J’ai donc attaqué la production en tant que tel début 2015. Nous n’avions alors aucune date de rendu fixé, donc j’ai été extrêmement lente au début, surtout les 20 premières planches. Cela m’a permis de faire mes erreurs de débutante, de recommencer… J’ai trouvé mon rythme de croisière en milieu d’album, et ensuite, j’ai été beaucoup plus rapide sur le dernier quart (tiers!) pour tenir le délai finalement fixé. De plus, j’ai soutenu Rozenn, ma coloriste, sur la fin, car elle devait aussi terminer dans des délais assez courts.
Donc en résumé : oui, c’est long. 😀
Au niveau de l’organisation, comment ça se passe de ton côté ? Tu pourrais nous partager une de tes journées type ?
En période de production, j’ai des journées fixes assez égales, je commence à bosser autour de 9h et je finis entre 19 et 21h, voire plus en période de bouclage. Je prends une pause en milieu de journée pour souffler et également un temps pour dîner le soir et décompresser. En bouclage, c’est week-end compris. Globalement, j’aime bien bosser le soir, je suis plus efficace à cette période, donc je garde la paperasse et le non-artistique pour le matin si je peux.
En ce moment je suis beaucoup plus relax, car je suis entre deux projets, donc j’alloue également du temps aux loisirs, paperasse administrative, veille artistique, et je m’investis également dans des associations (toujours dans le milieu de la BD), ça me permet de rencontrer des gens et de travailler sur de chouettes projets collectifs.
Comment as-tu vécu le jour de la sortie de « Blanche Neige » ? C’est pas trop de pression ?
J’ai vécu la réalisation de ce premier album comme une longue gestation et la sortie a été la récompense de ce long chemin, donc j’ai été très, très heureuse à la fois du résultat et simplement d’avoir mené à bout un projet comme celui-ci. Malgré la nature du sujet qui n’est ni un texte original ni un récit vécu, j’avais un peu l’impression de foutre mes tripes sur la table ! J’ose pas imaginer ce qui se passe quand on publie une BD autobiographique…
Tout ce qui s’est passé avant, la réception des BAT, le calage de l’impression, des exemplaires auteur, les premières invitations en salon… C’était assez fou, j’ai tout vécu très intensément ! Suite à la sortie de l’album, j’ai enchaîné quasiment 6 mois de dédicaces non-stop tous les week-ends, ce qui m’a fait un choc après l’année de réclusion que je venais de vivre. Oui, j’ai eu quelques coups de pression, mais j’étais très bien entourée, que ce soit par mon scénariste ou mes amis qui sont également dans la profession, donc ça m’a aidé à relativiser.
Plusieurs mois se sont écoulés depuis sa sortie. Si tu pouvais donner un conseil à la Nathalie de début de projet, que lui dirais-tu ?
D’avoir moins peur de faire, d’être moins dans l’intellect et plus dans les tripes ! De moins faire selon les autres et de plus faire en fonction de mon ressenti. D’être plus constante aussi, c’est sûr. Mais je vois des auteurs confirmés être aussi sujet à la productivité en accordéon donc je suis à la fois rassurée et résignée. 😀 Sinon pas grand chose de plus, je pense que j’ai géré avec les moyens que j’avais sur le moment, donc je n’ai que peu de regrets. Il y a eu des couacs et des erreurs, mais si je ne les avais pas faites, je n’aurais pas progressé.
Ha oui, et garder du temps pour soi après l’album. Ne pas accepter trop de dédicaces. Je suis sortie complètement exténuée de ma tournée du printemps, et ce n’est pas bon pour la créativité.
Il y a quelques mois, on discutait avec Tiffanie Uldry de la situation de la BD en France, as-tu un avis là-dessus ?
Je suis partagée là-dessus, car je pense avoir bénéficié en tant que primo-éditée de la (sur)production actuelle. Je n’ai pas été pressée par les délais, mais je n’ai pas non plus eu un suivi personnalisé, j’étais une goutte d’eau dans la mer. Pour une jeune autrice peu connue, c’est très, TRÈS compliqué de sortir du lot, indépendamment de la qualité du livre. Les libraires sont nos premiers alliés à ce niveau et je leur suis extrêmement reconnaissante qu’ils prennent la peine de mettre des coups de cœur sur certains ouvrages et de les mettre en avant. Grâce à ça, j’ai clairement pu toucher un lectorat plus vaste, car la pub éditeur autour de mon album était assez limitée.
Pour ce qui concerne la rémunération, on nous a proposé un forfait (c’est communément pratiqué pour les auteurs débutants), donc une somme globale pour le livre entier. Nous avons ensuite convenu entre auteurs du pourcentage que chacun touchait, et pour que ce soit plus confortable, j’ai calculé combien ça faisait à la planche et j’ai demandé à être payée toutes les 10 planches livrées. Je fonctionne bien ainsi, car ça me faisait une carotte pour avancer régulièrement. 🙂
Je suis désolée pour Tiffanie par rapport à son expérience malheureuse de maquette, j’ai le sentiment d’être privilégiée à ce niveau : j’ai eu la possibilité d’assister à l’impression de mes planches en Belgique, et tout s’est super bien passé.
Je suis tout à fait d’accord pour l’aspect commercial/carnet d’adresses. Pour ça les gros salons type Angoulême/ St Malo/ Montreuil sont vraiment importants, non pas pour l’ego-trip, mais pour mettre un pied dans la porte et rentrer dans le milieu. Même si vous êtes timide, que vous ne savez pas vous vendre, c’est vital. Et on finit par s’y faire. 😉
Est-ce possible selon toi de vivre entièrement de la BD ?
Oui. Pas largement, mais on peut y arriver. Je connais suffisamment de gens qui ont une série qui a bien marché et qui leur permet d’avoir une rente, ou bien des bourreaux de travail qui multiplient les projets. Après, c’est un sacerdoce, faut pas avoir envie de partir en vacances trop souvent, pas trop tomber malade… Perso, étant toute neuve dans le métier, je réussis à vivre très modestement, mais dois encore jongler avec d’autres sources de revenus.
Quel serait ton conseil pour ceux qui souhaiteraient devenir auteur de BD ?
D’être travailleur et persévérant. Faire une école est un plus indéniable, mais ce n’est pas obligatoire, je connais suffisamment d’autodidactes extrêmement talentueux, qui ont une capacité de travail et de progression énorme.
Selon moi, il y a une période incompressible de 5 ans où c’est galère, il faut serrer les dents et ne pas lâcher.(je suis optimiste par rapport aux 10 ans annoncés dans la vidéo)
Se faire confiance. Et mettre des sous de côté dès que possible.
Quels sont tes projets à venir ?
Je travaille avec mon scénariste sur un projet jeunesse petite pagination en couleur directe. Je n’ai pas de date de sortie pour le moment, mais j’en reparlerai sûrement dans les mois qui viennent. Sinon j’ai un autre projet plus adulte qui me tient à cœur et sur lequel je suis en recherche graphique, avec un autre écrivain avec qui j’ai très envie de travailler. Et sinon je m’investis dans le paysage associatif local (lyonnais). À terme, j’aimerais bien bouger un peu en résidence d’artiste pour m’aérer la tête et nourrir mes projets. J’ai donc hâte de voir ce que 2018 me réserve !
C’est tout ce que l’on te souhaite en tout cas ! Merci à nouveau Nathalie 🙂
Vous pouvez retrouver le travail de Nathalie sur sa page Facebook ainsi que son portfolio
Vous pouvez aussi trouver sa BD dans toutes les bonnes librairies où sur Amazon !
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